Ces derniers mois, plusieurs études, rapports d’analyse et enquêtes d’opinion sont parus pour évaluer la confiance de la population française envers les sciences, le niveau de climatoscepticisme, ou encore la crédibilité accordée aux médias d’information. Chaque étude apporte un éclairage différent selon les sujets abordés et méthodologies employées, ce qui fait qu’on peut parfois s’y perdre un peu.
Je propose donc un petit tour d’horizon (non exhaustif) de quelques publications récentes (parues entre 2024 et 2025), en mettant en avant certains résultats qui m’ont parus éclairants, notamment dans le contexte géopolitique actuel : attaques politiques contre les sciences de la durabilité aux États-Unis (sous la présidence de D. Trump), montée de l’extrême droite dans les sondages et les votes en Europe, recul annoncé de plusieurs politiques environnementales en France et dans l’UE… Autant de signaux qui nous poussent à nous interroger : où en est l’opinion publique sur les questions environnementales et les sciences qui les portent ?
Est-ce que le climatoscepticisme progresse ?
Moui peut-être… En effet, plusieurs études semblent montrer une hausse du climatoscepticisme en France (Figure ci-dessous). Mais selon l’analyse de Parlons Climat (parue en novembre 2024), cette hausse est à nuancer du fait de changements de méthodologie, de la façon de formuler les questions, de la conjoncture politiques,… Tous ces éléments peuvent influencer les réponses. Difficile donc de mesurer précisément cette progression. Ce qu’il convient de retenir est qu’environ un tiers des Français doutent encore de l’origine humaine du changement climatique. Ce qui n’est pas négligeable.
Qui sont les climatosceptiques ?
Le climatoscepticisme semble plus fréquent :
- chez les personnes âgées de plus de 65 ans
- les populations les moins diplômées ou à faibles revenus
- et surtout, les personnes se déclarant de droite ou d’extrême droite, l’appartenance politique étant l’un des facteurs les plus déterminants.
Source : Parlons Climat, nov. 2024
Tous les climatosceptiques sont-ils opposés à l’action climatique ?
Logiquement, on dirait que oui, mais en fait pas nécessairement. Parlons Climat distingue deux grands blocs :
- Le scepticisme « mou » (environ 30 % des climatosceptiques) : ces personnes doutent surtout du rôle des activités humaines, mais reconnaissent la réalité du changement climatique et la nécessité de mettre en place des mesures importantes pour s’y adapter.
- Le scepticisme « dur » (environ 25 %) : ici, le doute s’étend à tout — la réalité du changement, ses causes, ses impacts, la légitimité du consensus scientifique, la nécessité d’agir.
Source : Parlons Climat, nov. 2024
Le climatoscepticisme est-il lié à une défiance envers la science en général ?
Surprenant à première vue : bien que les climatosceptiques remettent souvent en cause le consensus scientifique, les scientifiques restent des figures de confiance pour eux. Le climatoscepticisme ne semble pas directement lié à une défiance généralisée envers la science. Il s’agit plutôt d’une réaction à ce qui est perçu comme une menace : écologie punitive, sentiment d’impuissance, remise en cause des modes de vie, croyances ou valeurs associées à la transition.
Le baromètre de l’esprit critique (Universcience, 2025) le confirme : la défiance envers la science reste minoritaire (en France comme aux États-Unis). C’est plutôt la légitimité politique des institutions scientifiques qui est parfois contestée (en ce moment aux États Unis).
En France, 7 à 8 personnes sur 10 estiment que la science aide à comprendre le monde, et qu’une affirmation gagne en valeur lorsqu’elle est validée scientifiquement.
Sources : Parlons Climat, nov. 2024 ; Universciences 2025
Est-ce vrai aussi chez les jeunes ?
Les 15-24 ans, souvent pointés du doigt comme vulnérables à la désinformation via les réseaux sociaux, vont peut-être surprendre :
- Ils ont un intérêt plus fort pour les sciences que leurs aînés (18-65 ans).
- Ils sont plus nombreux à faire confiance à la communauté scientifique, notamment en ce qui concerne son indépendance pour valider ses résultats.
Sources : Universciences 2025
Quelle place pour l’esprit critique dans la science ?
Un résultat marquant du baromètre Universcience : les disciplines perçues comme développant le plus l’esprit critique sont les sciences humaines et sociales. Lorsqu’on demande aux jeunes quelles disciplines ont nourri leur esprit critique, ce sont le français, l’histoire-géographie et la philosophie qui arrivent en tête. Les sciences de la vie et de la Terre, les mathématiques ou la physique-chimie arrivent après. Cela pose question sur la manière dont les sciences « dures » pourraient mieux intégrer la réflexion critique — peut-être notamment autour des enjeux et controverses soulevés par la recherche techno-scientifique.
Sources : Universciences 2025
La crise Covid a-t-elle changé la donne ?
Pas tant sur la confiance globale envers la science, qui reste stable par rapport à avant la crise. Mais la pandémie a mis en lumière deux sujets majeurs :
- Le besoin de plus de transparence sur les conflits d’intérêts (liens avec l’industrie pharmaceutique, par exemple)
- Et une attente de règles éthiques plus strictes dans la production scientifique : seules 6 personnes sur 10 estiment aujourd’hui que les scientifiques respectent des principes éthiques et sont réellement indépendants.
Sources : Universciences 2025
Comment la population française perçoit-elle l’information en général ?
Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès de décembre 2024 :
- 53 % disent avoir du mal à distinguer une vraie information d’une fausse information.
- 47 % peinent à suivre la continuité des sujets ou des événements (hausse de 6 points en deux ans).
- 57 % estiment qu’« une information chasse l’autre » et qu’« il n’y a aucun suivi sur les sujets », au point de remettre en cause le sens même de s’informer.
Source : Fondation Jean Jaures, dec. 2024
Quel est le rôle des médias dans le climatosceptiscisme et cette "fatigue informationnelle" ?
Là, c’est Quota Climat qui apporte un éclairage pour le moins préoccupant :
- 128 cas de désinformation climatique dans les principaux médias détectés en 3 mois (soit une dizaine par semaine). La désinformation ne se limite donc pas aux réseaux sociaux !
- 85% de cette désinformation provient de médias privés, avec Sud Radio concentrant à elle seule 31 % des cas.
- Les pics de désinformation coïncident avec les temps forts politiques (élections, débats publics…).
- Les sujets les plus ciblés sont les énergies renouvelables et les véhicules électriques.
- Pendant ce temps, les enjeux environnementaux n’occupent que 2 à 6 % du temps d’antenne dans les médias analysés.
Source : Quota Climat, avril 2025
En conclusion…
La confiance dans la science tient bon, mais elle est fragilisée de plusieurs manières : une désinformation persistante, une saturation informationnelle, des discours contradictoires portés par la politique partisane, un manque de transparence dans certaines pratiques scientifiques.
Oui, la désinformation existe, et elle est bien souvent organisée : certains acteurs politiques ou économiques manipulent sciemment l’opinion pour défendre leurs intérêts, mettent en place des stratégies pour entretenir un doute artificiel sur les connaissances environnementales et sanitaires.
Mais n’y aurait-il pas également quelque chose à revoir dans les rapports entre sciences et société ? La science est souvent posée comme figure d’autorité face à la complexité du monde. Et quand en tant que citoyen, nous doutons, exprimons des craintes à l’égard de certaines innovations technologiques, cela est rapidement interprété comme de l’ignorance ou de la méfiance irrationnelle. La réponse souvent observée est : pédagogie, sensibilisation et éducation.
Est-ce suffisant ? Pertinent ? Ne faudrait-il pas également que la science fasse davantage preuve d’esprit critique sur ses propres implications sociétales, notamment dans le champ techno-scientifique ?
Je terminerai simplement par cette citation — que j’aime beaucoup et qui complète mon propos — de la revue Alliage, fondée en 1989 par l’épistémologue Jean-Marc Lévy-Leblond :
Sous l’impact des sciences et des techniques, nos vies se transforment chaque jour. Pour ressaisir collectivement la maîtrise de l’évolution sociale, pour retrouver un rapport personnel au monde, il nous faut desserrer l’étreinte du savoir et du pouvoir, donner du jeu, celui de la culture. Mettre la science en culture et la culture en science – comment sinon, affronter et d’abord comprendre les problèmes nouveaux que le développement technoscientifique pose à l’individu, à la société, à la nature ?
