Après 2 semaines de négociations, la 28e édition de la Conférence des Parties (Conference of the Parties, en anglais), la COP28, s’est achevée ce mercredi 13 décembre 2023 sur un accord qualifié d’historique selon de nombreuses sources. Premièrement, car il mentionne une transition hors (transitioning away, en anglais) des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. De plus, la COP28 était également très attendue au sujet de la mise œuvre du dispositif de financement des pertes et préjudices (acté l’année dernière à la COP27). Et pour finir, c’était aussi cette année que devait être fait le tout premier bilan mondial des progrès réalisés depuis l’Accord de Paris. Alors qu’en est-il réellement ? À quel point doit-on se réjouir de ce 28e tour de négociations ? Est-ce que l’accord est à la hauteur des enjeux ? Faisons le point.
Pour accédez au texte original de l’accord de la COP28 — le Global Stocktake — c’est par >ici<
Pas de COP sans CCNUCC !
La CCNUCC, késako ? C’est la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. C’est une des 3 conventions adoptées lors du sommet de la Terre à Rio en 1992 — avec la Convention sur la biodiversité et la Convention sur la désertification. Donc, on ne parle pas que de climat dans les COP. Mais, à chaque sujet sa convention, et dans le cadre de la CCNUCC, c’est bien de climat dont il est question. La CCNUCC a été créée en reconnaissance de l’existence du changement climatique d’origine anthropique et de ses impacts, et avec l’objectif de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre en proposant des solutions dans le cadre d’une coopération internationale.
Citons ici quelques principes fondateurs de la CCNUCC qui fixent les grandes lignes de la négociation climatique : le principe de précautionl’absence de consensus scientifique ne doit pas empêcher les États de prendre des précautions face aux menaces de dommages pour l’environnement ou les populations, le principe du pollueur-payeurle responsable de la pollution doit payer pour les dommages causés, la responsabilités communes et différentiéestoutes les parties sont responsables (au nom de l’intérêt commun) de protéger l’environnement, et la différenciation entre les états intervient du fait de leur contribution inégale à la dégradation de l’environnement, et de leur capacité inégale à protéger l’environnement, le droit au développement durableun développement qui répond aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins, le principe de souveraineté nationaleou d’indépendance des États: sa capacité à ne pas se voir imposer la volonté des autres pays et sa liberté d’organisation interne de son pays. C’est important d’avoir ces grands principes en tête, car comme on le verra plus tard, ils permettent de comprendre le sens de certaines décisions et la nature de certains points de blocages, et de manière générale la lenteur du processus des négociations internationales.
Depuis 1995, les États signataires de la CCNUCCils étaient 154 en 1992, aujourd’hui ils sont 198 se retrouvent donc une fois par an, dans une ville différente (en alternant entre les 5 groupes régionaux des Nations Unis), pour deux semaines de discussions et de négociations, afin de décider — par consensus — des mesures à prendre en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est ce qu’on appelle communément les COP (Conferences Of the Parties).
Les 2 grandes thématiques qui structurent les COP climat
L'atténuation
« Stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique »
(CCNUCC, Article 2)
Il y a eu une première avancée avec le protocole de Kyoto (adopté en 1997 à la COP3), visant à une réduction d’au moins 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012 (par rapport au niveau de 1990). Tous les pays n’étaient cependant pas soumis au même niveau de réduction ; il y avait des objectifs différenciés en fonction du niveau de développement des pays (conformément aux principes de responsabilités communes mais différenciées et du droit au développement). Mais c’est seulement 8 ans après, en 2005, que le protocole de Kyoto est entré en vigueur — car il fallait qu’il soit ratifié par au moins 55 pays (en 1997, il n’y en avait que 37) et que l’ensemble des pays l’ayant ratifié émettent au moins 55% des émissions mondiales : tout l’enjeu était donc d’embarquer les pays pollueurs. En 2005, 175 pays avaient ratifié le protocole, mais pas les États-Unis…
C’était une première étape.
Un nouvel accord, post-2012, était attendu à Copenhague (COP15 en 2009). Mais ç’a été la douche froide : aucun accord général n’a pu être atteint. Il y avait bien quelques éléments positifs comme l’objectif de limiter le réchauffement à 2°C et des engagements en matière de financement, mais le problème est qu’il ne tenait pas compte des besoins de développement de chaque pays et de leurs capacités à agir en faveur du climat.
C’est en 2015, avec l’Accord de Paris de la COP21 que tous les États (y compris les grandes puissances pollueuses) s’accordent pour la première fois sur un objectif commun et ambitieux de contenir le réchauffement en-dessous de 2°C, voire de 1.5°C (par rapport au niveau préindustriel). Pour atteindre ce résultat, l’accord précise qu’il faudra réduire les émissions de gaz à effet de serre et augmenter les capacités de stockage du carbone présent dans l’atmosphère (sous entendu, par les puits naturels ou avec la technologie), pour atteindre un pic mondial des émissions le plus tôt possible et la neutralité carbone dès 2050. Et la réussite de cet accord tient au fait que chaque État décide de sa contribution et des mesures à mettre en œuvre pour atteindre son objectif au niveau national. C’est ce qu’on appelle les « contributions déterminées au niveau national », qui doivent être révisées à la hausse tous les 5 ans (la dernière révision date de la COP26 à Glasgow en 2021).
La COP21 est considérée comme étant la plus réussie, mais pour l’instant aucun accord ne parle de s’affranchir des énergies fossiles, principales responsables des émissions de gaz à effet de serre. Il faudra attendre la COP26 à Glasgow, pour que les États s’engagent à « réduire progressivement le recours au charbon » dans le Pacte de Glasgow pour le climat.
Alors, quel est le bilan de tous ces engagements sur les émissions mondiales ?
Lors de la COP28, les états prennent acte de ce décalage entre les objectifs de Paris et la réalité :
« des progrès collectifs significatifs ont été accomplis pour atteindre l’objectif de température de l’accord de Paris, passant d’une augmentation attendue de la température mondiale de 4°C, selon certaines projections antérieures à l’adoption de l’accord, à une augmentation de l’ordre de 2,1 à 2,8 °C avec la mise en œuvre intégrale des dernières contributions déterminées au niveau national. » (COP28, First Global Stocktake, Arcticle 18)
Les COP servent de cadre pour la mise en œuvre de politiques climatiques au niveau des pays. Sur le volet de l’atténuation, c’est indéniable, le décalage par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris est très important. Mais, les COP auront au moins servi à nous éloigner de la trajectoire « business as usual » qui nous conduisait à un réchauffement de 4°C, voire plus.
Face à ce bilan plutôt mitigé, quelles sont les pistes pour renforcer l'action au niveau international ?
Enfin, les États s’accordent, à la COP28, sur une décision qui semble marquer le début d’une sortie des énergies fossiles :
« Transitionner hors des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, afin d’atteindre l’objectif zéro d’ici 2050 en accord avec la science. » (COP28, Global Stocktake, Article 28d)
Les débats ont été long autour du terme à utiliser : « transitionner hors » ou « sortir » des énergies fossiles. C’est finalement le moins ambitieux (le plus flou aussi) qui a été choisi — comme c’est souvent le cas dans les COP, car n’oublions pas que pour avoir un accord il faut un consensus entre tous les États. Mais, on peut également voir cette proposition comme « une reconnaissance d’un constat scientifique solide et irréfutable qui ne laisse la place à aucune forme de déni qui puisse exister » (selon les paroles de la climatologue Valérie Masson-Delmotte au grand entretien de la matinale de France Inter) — dommage que ça ait pris 40 ans…
Notons également qu’il s’agit d’une transition vers la sortie des combustibles fossiles qui ne concerne que le secteur de l’énergie. L’accord ne prévoit rien notamment sur la production de plastiques et d’engrais chimiques.
« Accélérer les technologies à émissions nulles ou faibles, y compris, les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et d’élimination telles que le captage et l’utilisation et le stockage du carbone, en particulier dans les secteurs où il est difficile de réduire les émissions, et la production d’hydrogène à faible teneur en carbone. » (COP28, Global Stocktake, Article 28e)
Ce texte met un accent fort sur les solutions technologiques. Il prévoit notamment de tripler la production des énergies renouvelables et de doubler l’efficacité énergétique d’ici 2030 au niveau mondial. Il mentionne également la possibilité d’utiliser les combustibles fossiles avec abattement via des technologies de capture, ré-utilisation et stockage du carbone — des technologies actuellement non mâtures et très couteuses.
Enfin, derrière « transitioning away », on peut aussi lire « utilisation de combustibles de transition », tels que le gaz naturel :
« les carburants de transition peuvent contribuer à faciliter la transition énergétique tout en garantissant la sécurité énergétique » (COP28, Global Stocktake, Article 29)
Et ce, sans aucune mention d’objectifs quantitatifs sur les émissions de méthane à horizon 2030. Or, le gaz naturel est un combustible fossile fabriqué principalement à partir de méthane, et le méthane est un gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone, qui peut être libéré dans l’atmosphère par combustion incomplète du gaz naturel et via les fuites dans sa chaine d’approvisionnement.
Alors, cet accord laisse t-il présager une sortie imminente des énergies fossiles ? Il me semble légitime d’avoir quelques doutes sur la réponse à cette question.
L'adaptation
L’objectif: permettre à tous les pays d’atteindre un niveau de développement convenable tout en luttant contre le changement climatique et en s’y adaptant.
Les communautés et pays les plus pauvres sont les plus vulnérables, notamment du fait de ressources limitées leur empêchant la mise en œuvre des stratégies d’adaptation. Les notions d’équité, de justice climatique, de coopération entre les pays et entre acteurs non étatiques (ONG, entreprises, scientifiques, etc) sont donc centrales ici. Ainsi que la question du financement par les pays et populations plus riches — en reconnaissance de leur responsabilité historique des émissions (et conformément aux principes du pollueur-payeur, des responsabilités communes mais différenciées et du droit au développement).
Qu’est ce que les COP ont permis en matière de financement ?
De nombreux fonds pour le climat ont été créés:
- À commencer par le Fonds pour l’environnement mondial, créé en 1991 (à la veille du Sommet de la Terre de Rio en 1992)
- le Fonds pour les pays les moins avancés (COP7 à Marrakech, 2001)
- le Fonds spécial pour le changement climatique (COP7 à Marrakech, 2001)
- le Fonds d’adaptation au changement climatique (COP7 à Marrakech, 2001)
- le Fonds vert pour le climat (COP15 à Copenhague, 2009) visant à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 afin de soutenir des projets de développement durable à faible émissions et résilients face aux risques climatiques.
- Et le tant attendu Fonds pour pertes et préjudices (COP27 à Charm El Cheikh) afin d’aider les pays vulnérables à faire face aux pertes et dommages causés par les inondations, les sécheresses et autres catastrophes climatiques.
D’autres fonds et dispositifs financiers en faveur du climat et du développement ont également été créés par des institutions qui ne sont pas directement sous la direction de la CCNUCC (par exemple la Banque Mondiale).
Mais malheureusement, cette profusion de fonds ne signifie pas forcément qu’il y a abondance d’argent.
Le texte de la COP28 souligne notamment :
« l’écart croissant entre les besoins des pays en développement […] et le soutien fourni et mobilisé en faveur de leurs efforts pour mettre en œuvre leurs contributions déterminées au niveau national […] ces besoins sont actuellement estimés à 5,8-5,9 trillions de dollars pour la période pré-2030 » (COP28, First Global Stocktake, Arcticle 67)
Le texte souligne également que :
« les besoins de financement de l’adaptation des pays en développement sont estimés à 215-387 milliards d’USD par an jusqu’en 2030, et environ 4,3 trilliards d’USD par an doivent être investis dans les énergies propres jusqu’en 2030, puis 5 trilliards d’USD par an jusqu’en 2050, afin de parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2050. » (COP28, First Global Stocktake, Arcticle 68)
Et on est effectivement loin de ces montants là. Depuis 2015, l’OCDE évalue les progrès dans la réalisation de l’objectif pour les pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour l’action climatique dans les pays en développement. Selon, son dernier rapport, les chiffres pour 2021 s’élèvent à 89,6 milliards USD (une augmentation de 8% par rapport à 2020), mais l’objectif n’est pas encore atteint. Et même s’il l’était, il serait loin de couvrir les 4 ou 5 trilliards par an cités plus haut.
Quel bilan pour les financements climatiques ?
- Augmentation progressive pour atteindre 89,6 milliards USD en 2021 (objectifs des 100 milliards en 2020 non atteints)
- 2/3 des financements sont pour l’atténuation, et la part de l’adaptation augmente progressivement
- 80% des financements sont publics, majoritairement sous la forme de prêts
- Financements publics et privés servent surtout à financer des technologies ou projets d’infrastructure qui sont générateurs de revenus futurs, et sont surtout dirigés vers des pays à revenu intermédiaire où le retour sur investissement est assez garanti.
- Les subventions publiques servent surtout à financer des projets d’adaptation dans les états insulaires et les pays les moins avancés (là où les retours sur investissement sont beaucoup plus incertains). Cependant, les états insulaires et les pays les moins avancés ne représentent respectivement que 2% et 17% du total des financements.
Que prévoit l'accord de la COP28 pour rehausser l'ambition au niveau des finances ?
La COP28 a rendu opérationnel le fonds pour les pertes et préjudices (1 an après sa création), avec une mise de départ de 790 millions de dollars à ce jour. On peut s’en réjouir, car ce fonds était une revendication de longue date des pays du Sud (depuis le début des COP) ; même si la somme de départ reste loin du compte par rapport aux besoins des pays vulnérables pour faire face aux impacts du réchauffement global (estimés à 150-300 milliards de dollars jusqu’à l’horizon 2030, selon un rapport de 2022).
En dehors des engagements envers le fonds des pertes et préjudices, la COP28 se félicite des promesses faites par les pays riches pour contribuer au fonds d’adaptation (d’un montant de 187,74 millions d’USD), au fonds pour les pays les moins avancés et au fonds spécial pour le changement climatique (d’un montant de 179,06 millions d’USD). Un total de presque 400 millions de dollars ; c’est également très loin d’être suffisant.
Finalement, la COP28 reconnait que le financement de l’adaptation devra progresser en vue de doubler au moins, d’ici à 2025, par rapport aux niveaux de 2019. Et qu’« afin de fournir ce financement, il sera important de réformer l’architecture financière multilatérale et d’accélérer la mise en place de sources de financement nouvelles et innovantes » (UN Climate Change News, 13 December 2023). Affaire à suivre dans les prochaines COP…