Cet été j’ai fêté mes 40 ans ! Et pour m’assurer que je tenais toujours la forme, j’ai embarqué mon compagnon dans un voyage sac-à-dos à travers les Balkans. Un voyage qu’on pourrait qualifier de « sobre », car effectué uniquement en train et en bus, débutant dans les Alpes suisses et se poursuivant à travers l’Albanie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine, pour célébrer le passage de ma décennie à Sarajevo !
Il y aurait bien des choses à raconter de ce voyage, mais c’est une randonnée près du plus grand glacier d’Europe, l’Aletsch, qui a inspiré cet article.
Situé dans le canton du Valais en Suisse, ce glacier impressionne par son gigantisme : avec une longueur de 23,6 km et une largeur de 1,5 km, il s’étend de 4126 m à 1649 m d’altitude, atteignant par endroits une épaisseur de 900 m ! Saviez-vous que le Rhône (bien connu pour traverser la France et se jeter dans la Méditerranée) prend sa source dans les Alpes suisses et est en partie alimenté par l’eau de fonte du glacier d’Aletsch ?
Mais malheureusement, ces chiffres, qui datent de mesures effectuées en 2011 (World Glacier Monitoring Service), ne sont que temporaires… En effet, comme presque tous les glaciers à travers le monde, l’Aletsch n’est pas en équilibre avec le climat actuel. Cela signifie qu’il perd chaque année plus de glace qu’il n’en accumule : les chutes de neige de l’hiver ne sont pas suffisantes pour compenser les pertes de glace et de neige par la fonte estivale. Comme le montre la figure ci-dessous, le glacier a reculé de 3500 mètres depuis 1880. Et ce recul s’accélère avec le temps : en seulement 20 ans le glacier a reculé de plus de 1000 m, soit 30% du recul total observé sur les 140 dernières années.
Le bilan de masse : une donnée clé de l’équilibre d’un glacier
Un glacier est bien plus qu’un simple amas de neige et de glace posé sur un socle rocheux. C’est un corps dynamique, qui glisse et se déforme lentement sous l’effet de son propre poids. La partie haute du glacier est une zone d’accumulation où il s’amasse plus de neige durant l’hiver qu’il ne fond de neige et de glace durant l’été. Dans sa partie basse, et en particulier au niveau du front (le terminus du glacier), l’ablation due à la fonte estivale domine.
Le bilan de masse d’un glacier est la différence entre la neige accumulée pendant l’hiver et la neige et la glace disparues au cours de l’été. Il est déterminé par des mesures de terrain effectuées deux fois par an : à la fin de l’hiver, par carottage dans la partie haute du glacier, et à la fin de l’été, à l’aide de balises installées dans la partie basse du glacier, dont on mesure la partie émergente à la surface.
Un bilan positif signifie que l’accumulation de neige pendant l’hiver est plus importante que l’ablation estivale. Le glacier évacue alors le surplus de glace vers le bas : il s’épaissit, sa vitesse d’écoulement augmente et son front avance. Inversement, un bilan négatif indique un recul, comme c’est le cas pour l’Aletsch et de nombreux autres glaciers depuis les années 1980.
Quel avenir les scientifiques prévoient-ils pour le glacier d'Aletsch ?
L’ensemble des observations (mesures de terrain, photos aériennes et télédétection par satellite), ainsi que la compréhension de la dynamique des glaciers, permet de relier la température, les précipitations et les bilans de masse. Ensuite, grâce à des simulations numériques, les scientifiques peuvent évaluer l’évolution future des glaciers en fonction de divers scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. Que nous disent les résultats ?
Les perspectives pour l’Aletsch sont donc plutôt sombres : d’ici la fin du siècle, ce glacier pourrait au mieux voir sa taille réduite de 60 % environ (scénario #1). Étant donné l’état dans lequel se trouvera ce géant des glaces, il est quasiment certain que les autres glaciers alpins, plus modestes, auront disparu, à l’exception de quelques fragments de glace subsistant sur les plus hauts sommets.
Les glaciers ne font pas que fondre. Ils se réchauffent… et s’effondrent
La glace fond lorsque la température dépasse 0 °C, ce qui est le cas à basse altitude. Cependant, à haute altitude, à partir de 4000 mètres environ, la situation est différente car la glace y reste à une température inférieure à 0 °C. Le réchauffement climatique commencera donc par réchauffer cette glace avant que la fonte ne s’amorce.
Ce processus est imperceptible à l’œil nu, mais les conséquences peuvent être dramatiques, comme en témoigne l’effondrement d’un bloc de glace au Mont Blanc le 5 août 2024, qui a malheureusement fait un mort et deux disparus.
En conclusion…
Ce voyage a été bien plus qu’une simple escapade estivale.
Il a permis de faire un arrêt sur image pour s’intéresser de plus près à ce géant des glaces. Sa disparition, et donc celle des autres glaciers alpins plus petits, ne représenterait pas seulement la perte d’un paysage cher aux randonneurs. Ces glaces alimentent des lacs, des rivières, des fleuves, ainsi que les écosystèmes qui en dépendent. N’oublions pas non plus que leur disparition entraînerait une perte considérable de ressources en eau pour nous, les humains, avec des conséquences sur nos vies, notre alimentation, notre production d’énergie. La France se targue de son nucléaire pour sa production électrique décarbonée, mais il ne faut pas oublier que quatre centrales nucléaires le long du Rhône, représentant le quart de la production d’électricité nationale, dépendent en partie de l’eau de fonte des glaciers alpins…
Ce voyage a également permis de voyager autrement, de manière plus sobre, plus lente, en visitant moins d’endroits certes, mais avec autant de découvertes et de plaisir. Voyager en bus et en train, comme on l’a fait, n’a pas toujours été simple, mais c’est aussi dans les moments difficiles que l’on a fait des rencontres et que l’on a découvert des facettes de la vie locale… avec les anecdotes qui vont avec !
Références
(1) World Glacier Monitoring Service (WGMS) : https://wgms.ch/
(2) Bernard Francou et Marie-Antoinette Mélières, « Coup de chaud sur les montagnes », Éditions Paulsen, 2021