Augmentation des sécheresses et des pluies extrêmes : deux conséquences concomitantes du réchauffement climatique

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Il peut sembler paradoxal que le réchauffement climatique puisse engendrer à la fois des sécheresses accrues et des épisodes de fortes précipitations. Et pourtant…

Rappelons-nous de l’été 2023 en méditerranée : après des sécheresses causant d’importants feux de forêt, la région a été dévastée par la tempête Daniel et ses pluies torrentielles laissant des milliers de personnes sans abri en Grèce, en Bulgarie, en Turquie et un bilan tragique de 11 000 morts en Libye. Ce cas a été étudié par les scientifiques du World Weather Attribution Group par le biais d’expériences de modélisation numérique du climat : un événement de pluie de cette ampleur sur la région méditerranéenne est 10 fois plus probable et 40% plus intense avec changement climatique que sans.

Comment expliquer ce duo de choc ‘plus d’extrêmes de pluie et plus d’extrêmes secs’ à mesure que le climat se réchauffe ?

Une partie de la réponse se trouve dans le graphique ci-dessous (Figure 1) et dans le fait que toutes les catégories de précipitations (faibles, modérées, intenses) n’évoluent pas de la même manière avec le réchauffement climatique. À l’échelle planétaire, on distingue notamment deux ensembles – les précipitations extrêmes (au-delà des 10% les plus intenses, en vert dans la Figure 1) et toute la distribution des précipitations (de 0 mm au niveau maximal enregistré, en bleu dans la Figure 1) – qui sont soumis à deux contraintes physiques du système climatique différentes:

1/ Contrainte sur la quantité d’eau disponible dans l’atmosphère suivant la loi thermodynamique de Clausius-Clapeyron

La loi de Clausius-Clapeyron dit qu’à chaque augmentation de 1°C de la température de l’air, celui-ci peut contenir environ 7% de vapeur d’eau en plus. Avec plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère, il y a donc plus d’eau disponible pour retomber sous forme de pluie. Ainsi, à mesure que la température globale augmente, la quantité de précipitations augmente aussi. Mais attention : seuls les systèmes météorologiques capables de pomper toute l’eau disponible dans l’air, et donc de produire des quantités importantes de précipitations (tels que les orages, cyclones tropicaux ou tempêtes des régions tempérées) évoluent de pair avec la quantité de vapeur d’eau dans l’air. Autrement dit, seules les précipitations extrêmes obéissent à la loi de Clausius-Clapeyron, et par conséquent augmentent de 7-8% par °C de réchauffement (tendance en vert dans la Figure 1).

2/ Contrainte sur la quantité d’énergie disponible dans l’atmosphère imposée par le bilan énergétique de la Terre

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » (citation du chimiste Antoine Lavoisier sur la conservation des masses, mais qui vaut aussi pour l’énergie). Explication: le rayonnement solaire et la formation des nuages ainsi que la retombée au sol des précipitations induisent un chauffage dans l’atmosphère par absorption du rayonnement solaire et par condensation lors de la formation des nuages. Selon le principe de Lavoisier, ce chauffage doit être compensé par un refroidissement au même endroit (donc dans l’atmosphère). Et ça tombe bien, car une fois chauffée, l’atmosphère ré-émet de la chaleur sous forme de rayonnement infrarouge, et en ce faisant, se refroidit d’autant.  Il y a donc un équilibre entre des processus de chauffage et des processus de refroidissement pour maintenir une certaine stabilité de la température de l’air. C’est le bilan énergétique de l’atmosphère.
Mais l’augmentation des gaz à effet de serre à cause des activités humaines déplace cet équilibre vers un état plus chaud : la surface et l’atmosphère s’étant réchauffées, elles ré-émettent davantage de chaleur sous forme de rayonnement infrarouge. Cela accentue in fine le refroidissement radiatif de l’atmosphère, à son tour compensé par une augmentation des précipitations (toutes catégories confondues: qu’elles soient faibles ou extrêmes, les précipitations qui tombent au sol créent un chauffage de l’atmosphère). Ainsi, en moyenne globale, l’augmentation de la quantité totale de précipitations avec le réchauffement climatique est limitée au sens où elle n’augmente pas au même taux que la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère (Clausius-Clapeyron) par l’augmentation du refroidissement radiatif de l’atmosphère, qui est d’environ 2% par °C de réchauffement global (tendance en bleu dans la Figure 1).

Évolution des précipitation avec le réchauffement climatique
FIGURE 1: le graphique montre l'évolution des précipitations à l’échelle globale en fonction du réchauffement planétaire de 1970 à 2100 (chaque point représente une année). Les changements de précipitations (en ordonnée) et de températures (en abscisse) sont calculées pour chaque année par rapport à la période préindustrielle (1850-1900). Pour les précipitations, les changements sont exprimés en pourcentage par rapport à la période pré-industrielle ; par exemple, à 1,5°C de réchauffement global les précipitations extrêmes augmentent de 10% par rapport à la période pré-industrielle, alors que les précipitations moyennes n’ont presque pas changé. Les données sont issues de la plateforme de services climatiques de Copernicus : données du modèle de climat développé au CNRM/Météo-France (CNRM-CM6) pour la simulation historique (période de 1850 à 2014) et la simulation SSP3-7.0 (scénario proche de la trajectoire actuelle, couvrant la période de 2015 à 2100).
Pour résumer, et faire le lien avec les sécheresses…

À l’échelle globale, l’intensité des précipitations extrêmes augmente à un rythme bien supérieur – 3 à 4 fois plus vite – que celui de la moyenne des précipitations (qui inclut toute la distribution des intensités illustrées schématiquement ci-dessous). Ces deux tendances s’expliquent par des contraintes physiques du système climatique différentes : la quantité d’eau disponible dans l’atmosphère pour les pluies extrêmes (relation de Clausius-Clapeyron) et la quantité d’énergie disponible dans l’atmosphère pour les précipitations moyennes.

Schéma type d'une distribution de précipitations

Et maintenant, j’en viens au 2e point de ma démonstration pour expliquer le fait que plus d’extrêmes de pluie et plus de sécheresses ne sont pas incompatibles. Cette partie de l’explication repose sur un raisonnement statistique: si l’intensité des précipitations extrêmes augmentent plus vite que la moyenne des précipitations, cela signifie que les pluies plus modérées diminuent en intensité ou que le nombre de jours de pluie diminue (c’est ce que montre la tendance en jaune dans la Figure 1). Et si le nombre de jours de pluie diminue avec le réchauffement climatique, cela veut dire que le nombre de jours sans pluie augmente. Donc, le risque de sécheresse s’accroit à mesure que le climat se réchauffe.

Sans parler de réchauffement climatique, ce raisonnement statistique vaut également pour expliquer les différences de régimes de pluie entre le nord et le sud de la France. On a tous entendu des phrases de Météo-France telles que: « 420 mm tombent en moins de 12 heures, c’est-à-dire l’équivalent de 6 mois de pluie ». Ces épisodes de fortes pluies surviennent presque chaque année en Méditerranée, surtout pendant les mois d’automne, et constituent une part importante du cumul de pluie sur l’année localement. C’est ce qu’on appelle les épisodes méditerranéens ou épisodes cévenols. En revanche, dans le reste de la France, les régimes de pluie sont très différents: moins intenses mais plus fréquents. Sur les cartes ci-dessous, on voit que le cumul de pluie sur l’année est équivalent dans le bassin Parisien et en Méditerranée (entre Nice et Marseille). En revanche, le nombre de jours avec pluie est beaucoup plus faible en Méditerranée qu’à Paris… et le risque de sécheresse également.  

Climatologie des précipitations en France (source : Météo-France)

 

Références:

Siebesma, A. P., Bony, S., Jakob, C., & Stevens, B. (Eds.). (2020). Clouds and climate: Climate science’s greatest challenge. Cambridge University Press.